Chapitre 7

Il est presque cinq heures. Cinq heures du matin.

Comme chaque matin, le boulanger fatigué n’a plus sommeil. Ses yeux sont rouges et son crâne est déplumé. Derrière le soupirail, la nuit est moins noire. Le jour va bientôt arriver. Assis dans l’odeur des croissants, le boulanger se désespère. Son monde tourne à l’envers. La nuit, les lumières s’éteignent. Presque toutes les lumières. Presque tout le monde dort, la tête dans un gros coussin. Ensuite, tout le monde se réveille en voulant du pain. Des croissants roux qui sentent le beurre. Des brioches. Du pain au raisin ou au chocolat. Pourquoi faut-il du pain frais au petit-déjeuner ? Pourquoi pas une salade ou de la pizza ? De la pizza, ce serait génial, toutes les pizzerias seraient ouvertes au petit matin et le boulanger fatigué serait le premier client. Il entrerait à 6 heures et dirait : je veux deux pizzas bien cuites s’il vous plait. Et derrière le comptoir, le pizzaiolo fatigué rêverait de devenir boulanger.

Mais non. Les gens ont décidé que la pizza, ce serait pour plus tard. Pour midi ou pour le soir.  Les gens veulent du pain frais au petit-déjeuner. On ne peut rien y changer. Alors, pendant que les croissants roussissent, le boulanger s’enferme dans son laboratoire. Il s’enferme à double tour. Il a devant lui des pots, des tubes, des spatules larges, des moules à gâteaux ronds. Petits. Moyens. Grands. Il y a du sucre blanc  et du sucre roux. Et surtout, posée au milieu de la table de travail, une immense jatte de crème fraiche. Le boulanger prend une spatule et caresse la surface brillante de la crème. Ça fait une petite vague onctueuse qu’il regarde avec attention. Il plonge la spatule. Il tourne en fronçant les sourcils. Il remue. Il goûte. Un pâle sourire illumine sa figure fripée de boulanger fatigué.

La crème est exactement comme il faut.

Alors, il se dirige vers une petite armoire, tout au fond de l’atelier. Il sort une clé de la poche de son pantalon blanc. Il regarde derrière lui. Le laboratoire est bien fermé. Personne ne peut entrer. Alors, il ouvre  la porte de la petite armoire.  Il sort un gros pot métallique fermé par un couvercle métallique. Il pose le pot sur la table de travail, à côté de l’immense jatte de crème. Il prépare trois moules à gâteaux ronds. Il s’affaire. Il s’active. Il fronce encore les sourcils. Il oublie sa fatigue et le jour qui se lève.

Le boulanger fatigué connaît son métier.

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