Le lendemain, le boulanger fatigué fabrique un gros gâteau à la crème légère.
Il dépose les trois parts sur une assiette à côté du billet rose. L’assiette sous la cloche de verre du présentoir pas plus haut que trois pommes. Le présentoir devant le rayon des pâtisseries. À la fin de l’après-midi, les enfants arrivent. Ils mettent leurs doigts sur la cloche de verre. Ils disent : « Je veux celui-là. » La boulangère dit que non, celui-là est réservé. Les enfants ne comprennent pas. Tout le monde s’énerve. À la fin de la journée, la boulangère parle au boulanger. Elle dit que ce n’est plus possible. Qu’elle en a marre et qu’il faut arrêter cette expérience. Le boulanger dit que c’est lui et lui seul qui décide quand on arrête l’expérience. Un point c’est tout. Nom d’un petit bonhomme.
Le surlendemain, tout recommence, la crème légère, les trois parts de gâteau, le présentoir et les enfants qui pleurent. Les parents qui se fâchent et veulent voir le directeur. La boulangère qui veut arrêter l’expérience et le boulanger qui ne veut pas. Rien ne change la semaine suivante. Assis sur son tabouret, le boulanger fatigué regarde les enfants qui pleurent et les parents qui se fâchent. Quand la boulangère lui dit que ça suffit, il dit que non, ça ne suffit pas.
L’expérience continue.
Petit à petit, au fil des jours et des semaines, il y a moins d’enfants qui viennent mettre leurs doigts sur la cloche de verre. Il y a moins de cris et moins de larmes. De moins en moins. Un jour, de l’heure de l’ouverture à l’heure de la fermeture, aucun enfant ne franchit la porte du boulanger fatigué. Assis sur son tabouret, au bout du comptoir, le boulanger regarde les trois parts de gâteau sous la cloche de verre qui brille. Il n’y a plus aucun cri. Plus aucune trace de doigt.
Alors, un pâle sourire traverse le visage fripé du boulanger fatigué.
Son expérience a réussi.