Chapitre 22

La boulangère fait bien attention.
Elle prend une belle assiette. Bien au milieu, sans faire de marques, elle dépose l’éclair au chocolat. Elle dit : « Pour la peine, Monsieur, je vous offre un autre café. » Le monsieur sourit et dit que ce n’est pas la peine. La boulangère dit non, non, j’y tiens. Je vous apporte votre café.
L’éclair au chocolat brille au milieu de l’assiette. Le monsieur plonge sa cuillère dans la pâte dorée, à travers la mousse tendre. Il porte la cuillère à sa bouche. Il mâche et là, il fait une grimace affreuse, on dirait qu’il va étouffer. Il avale de travers. Heureusement, devant lui, il y a encore la carafe. Il boit deux grands verres d’eau sans respirer. Il dénoue sa cravate. Il dit que non, que là c’est trop. Qu’il se plaindra dans les journaux.
La boulangère affolée prend un éclair au chocolat. Sans le poser sur une assiette. Directement entre deux doigts. Elle mord dedans. Ses yeux s’arrondissent. On dirait bien qu’ils vont tomber. Sa bouche fermée, ses joues se gonflent. On dirait bien qu’elle va vomir.

Il y a du jambon dans le chocolat !

La boulangère court dans l’arrière-boutique. Elle crache. Elle boit deux grands verres d’eau. Elle revient dans la salle et reprend sans un mot l’éclair entamé que le monsieur a reposé au milieu de l’assiette. Elle dit vous voudrez bien m’excuser, je crois qu’il y a eu un autre problème. Un problème avec le boulanger. Pour la peine, je vous offre un autre café. Le monsieur répond qu’il a déjà bu deux cafés et qu’il est suffisamment énervé. Le monsieur se lève.
En partant, il dit qu’on peut s’attendre à tout, quand un boulanger se prend pour un charcutier.

Auteur : Nicolas Esse

Depuis 1962, je regarde les nuages qui passent avant d'aller mourir.

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