
Pendant ses nuits sans sommeil, le boulanger fatigué a beaucoup réfléchi.
Il a imaginé un piège pour se débarasser des enfants. Pour que son piège fonctionne il faut de la crème chantilly. Les enfants adorent la crème chantilly. C’est léger, gros et blanc, et on voudrait tout de suite mettre le doigt dedans. Alors, le boulanger a décidé de fabriquer la meilleure crème chantilly du monde. La plus blanche, la plus légère. Tellement légère qu’on verrait la lumière à l’intérieur. Pour le goût, Il a essayé plusieurs recettes. Du sucre blanc. Du sucre roux. Un peu de beurre ou de vanille. Un peu de caramel fondu. Une pointe de framboise, pour voir.
Mais finalement, ce qui compte, c’est le vrai goût tendre et un peu sucré, qu’on trouve au cœur de la crème fraîche.
Alors, il est allé voir le crémier. Il a essayé la crème des vaches brunes. La crème des vaches rousses ou tachetées. La crème des plaines ou des alpages. Tous les jours, il est allé voir le crémier qui commençait à être très fatigué. Un jour, le boulanger a vu à la télévision des vaches qui broutaient tout au sommet des montagnes. Dans des champs remplis de fleurs rares et sucrées. Alors, il a téléphoné à la télévision. Retrouvé les vaches et leur berger qui a envoyé un pot de crème au crémier. Lorsque le crémier a reçu le pot, il a appelé le boulanger qui est arrivé en courant. Au moment où le crémier a soulevé le couvercle, tout le parfum des fleurs de montagne s’est échappé du pot. Un parfum jaune, violet et sucré. Un parfum de ciel avec de l’herbe fraîche et des baies des bois. Le boulanger a refermé le pot et il a couru s’enfermer dans son laboratoire.
Pour aérer au mieux la crème merveilleuse, il a essayé un peu de blanc d’œuf battu en neige. De l’air comprimé. De l’air chaud. De l’air froid. Du gaz. Et même de l’hélium pour faire s’envoler les ballons. Mais après avoir beaucoup gonflé, la crème retombe toujours, après une minute ou une heure. Alors, il s’intéresse au fouet à monter la crème. Il essaie un fouet plat. Un fouet à spirale. Un fouet mécanique. Un fouet électronique. Il découvre que le secret, c’est le fouet. Alors, il dessine des fouets de toutes les formes et de toutes les couleurs, qu’il fait fabriquer chez le quincailler, de l’autre côté de la rue. Pendant des mois, le quincailler fabrique des fouets. Un jour, le boulanger fatigué regarde les nuages. Et là, il a une idée. L’idée d’un fouet léger comme l’air. Un fouet rempli de mille fils de métal très fins, percés de mille trous tellement petits qu’on pourrait les voir seulement au microscope. Il court chez le quincailler qui commence lui aussi à être très fatigué, à force de fabriquer des fouets. Le boulanger explique son idée, il fait un dessin. Avec les fils et les trous. Le quincailler se gratte la tête. Il a dit que ça prendra des jours, peut-être des semaines. Le boulanger dit qu’il veut son fouet avec tous les fils et tous les trous. Au plus tard dans un mois. Le quincailler se gratte la tête. Le boulanger dit que tous les matins, pendant un mois, il déposera une corbeille de croissants roux et tièdes devant la porte du quincailler.
Le quincailler pense à l’odeur des croissants au beurre. À la merveilleuse odeur des croissants chauds dans le petit matin. Alors, il dit oui. Dans un mois. Lorsque le mois est passé, le quincailler va lui-même apporter le nouveau fouet au boulanger. Il y a tous les fils et tous les trous. Le boulanger descend tout de suite dans son laboratoire. Il ferme la porte. Il prépare trois moules ronds. Au fond il place de la meringue croustillante. Au-dessus, des framboises fraîches et bien mûres. Et par dessus, il coule la crème légère qu’il vient de fouetter avec son nouveau fouet.
Ensuite, il range le fouet dans une boite métallique, fermée avec un couvercle métallique, dans une armoire métallique dont lui seul a la clé. Il remonte essuyer les traces de doigts.
Il laisse les gâteaux se reposer pendant deux heures.
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